Pascal prépare une visite guidée en collaboration avec 24H pour le 23 juin.

Nous remercions Monsieur Philippe Dumartheray, journaliste à 24 Heures, qui nous a autorisé la reprise de la page suivante que l’on a pu lire à ce sujet dans ce quotidien vaudois, le 9 juin 2012 (autorisation du 11 juin 2012).


Les fortifications, trésor méconnu de Saint-Maurice

Cinq cents ans d’histoire défilent en quelques kilomètres de promenade sur les deux rives du Rhône

Philippe Dumartheray

Un simple coup d’oeil suffit à comprendre l’intérêt stratégique de Saint-Maurice, un verrou extrêmement étroit sur la route des Alpes, du Grand-Saint-Bernard et du Simplon. Dès 1476, l’évêque de Sion, qui vient de conquérir le Valais savoyard, prend des mesures pour assurer la défense du pont qui relie les deux rives du Rhône. Depuis lors et jusqu’à la fin du XXe siècle, toute la région a continué à être fortifiée, plus particulièrement au XIXe, avec la mise en place des fameuses fortifications Dufour, objet de cette balade.

En arrivant à Saint-Maurice, le visiteur est immédiatement dans le bain. L’inspection de ces lignes de défense commence à dix minutes seulement de la gare, au pied du château. Après avoir été occupée par les soldats français, puis austro-hongrois, de 1813 à 1815, la forteresse est intégrée dès 1831 dans le système de fortification imaginé par le général Dufour pour défendre la neutralité suisse (lire ci-dessous).

Afin d’en avoir une vue d’ensemble, il faut commencer par un tour sur la rive gauche du Rhône. Un joli sentier très bien aménagé mène dans un premier temps à une tour crénelée (la tour Dufour) en surplomb du château. De ce point de vue, on embrasse toute la région, notamment la colline sur l’autre rive du fleuve, que Dufour a truffée de lignes de défense.plan-visiteLe chemin continue, toujours à la montée, jusqu’à la grotte aux Fées, d’abord nommée Trou aux Fayes (brebis), un merveilleux endroit pour tous ceux qui voudront prolonger leur visite. Puis le sentier se fait plus étroit, plus raide – très raide par moments –, pour finalement arriver sur un plateau. En 1831, il abritait une redoute. De cet observatoire, la vue est magnifique, avec notamment, à l’arrière-plan, les Dents-du-Midi et, face à nous, une vision complète du verrou de Saint-Maurice et de son système de défense.

De retour au château, la balade se poursuit sur l’autre rive du Rhône, en terre vaudoise. Après avoir traversé le pont et être passé sous l’autoroute, le chemin commence juste avant la grande croix bien visible en montant un escalier métallique. Il est raide mais bien ombragé. Mieux encore, les différentes fortifications et lignes de défense imaginées par le général Dufour sont clairement présentées à l’aide de panneaux. On découvrira tour à tour la Petite Tenaille, un ouvrage d’artillerie installé sur une terrasse naturelle, puis la batterie Gautier, à mi-côte, où se trouvaient huit pièces d’artillerie pour renforcer la Petite Tenaille. Un peu plus haut, on peut admirer la Grande Tenaille, avec ses extensions. Finalement, tout en haut de la colline se trouve la redoute de la crête, un ouvrage d’infanterie avec deux pièces d’artillerie. L’endroit, dans une petite dépression, est très bien protégé.

Le chemin redescend sur l’autre côté de la colline. L’occasion de voir de plus près plusieurs positions d’artillerie, des fossés défensifs, des murs crénelés, en passant devant les batteries de l’Arzillier et des Capucins. Tous ces ouvrages datent de 1831, mais ont été renforcés et complétés au cours du XIXe siècle.

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Vue du verrou stratégique de Saint-Maurice, avec notamment le château et la tour Dufour, vers 1900 environ. AKGIMAGES

«Le site devrait être inscrit à l’Unesco»

Pascal Bruchez est un passionné. Cet architecte valaisan, colonel à l’armée dans l’artillerie (également bourreau lors des fêtes médiévales de Saillon!), occupe une partie de ses loisirs à faire visiter les fortifications de Saint-Maurice, notamment celles construites par le général Dufour dès 1831.

Mais Pascal Bruchez parle également avec talent de la période de la guerre froide, en y associant Saint-Maurice. C’est le thème du livre à paraître en octobre prochain, Dailly, une batterie d’exception, la tourelle de 15 cm. Où il est question de cette batterie d’artillerie capable d’envoyer des obus jusqu’au Grand-Saint-Bernard ou au Bouveret. Le développement de ces pièces phénoménales, qui rappellent celles du film Les canons de Navarone, a été stoppé pour permettre l’acquisition des fameux Mirage dans les années 60.

Mais revenons aux fortifications du général Dufour. A l’époque, 1800 hommes tenaient la colline, soit l’équivalent d’un régiment. Par ailleurs, cinquante pièces d’artillerie équipaient l’ensemble de la fortification, chaque pièce avec une dotation de 150 coups.

Reste que la situation politique de l’époque n’est pas simple. Dans les années 1820, chaque canton possède sa propre armée. Or le pouvoir central, si faible soit-il, comprend qu’il faut coordonner les efforts des cantons et protéger les différentes entrées des Alpes, notamment leur flanc ouest. C’est là qu’entre en scène le colonel Dufour, futur général, qui remarque que Saint-Maurice est l’endroit à fortifier impérativement. En 1802 déjà, le général français François de Chasseloup-Laubat écrivait, envieux: « (Saint-Maurice) offre une position si magnifique à fortifier, que je me chargerais volontiers de faire de cette petite ville une place qui, avec le vingtième de ce qu’a coûté Briançon, serait plus forte et surtout fermerait mieux la vallée du Rhône, que l’autre ne ferme la vallée de la Durance.»

Détail piquant, comme le relève encore le colonel Bruchez, «le général Dufour a risqué de devoir prendre d’assaut les fortifications qu’il avait si bien construites dès 1831». C’était lors de la guerre du Sonderbund, en 1847. Heureusement pour lui, la bataille eut lieu ailleurs.

Malgré leurs qualités, les fortifications deviennent vite obsolètes. «En 1880, un nouvel explosif apparaît, explique Pascal Bruchez: la mélinite. On parle alors d’obus brisant.» Dès lors, il faut revoir de fond en comble le plan de défense de la région. La Confédération achète des terrains à Savatan et à Dailly, un emplacement encore mieux protégé qui surplombe le verrou de Saint-Maurice. Le site sera renforcé tout au long du siècle suivant, avec le fort du Scex lors de la Première Guerre mondiale et celui de Cindey lors de la Seconde.

Pour le colonel Bruchez, «c’est ce magnifique héritage, un peu méconnu, qu’il faut absolument conserver. Saint-Maurice devrait être inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco.»

Juste au-dessus du château, la tour Dufour contrôle la région. PH.DY

Juste au-dessus du château, la tour Dufour contrôle la région. PH.DY

Sur la rive vaudoise, une ligne de fortification bien visible. PH.DY

Sur la rive vaudoise, une ligne de fortification bien visible. PH.DY